21/06/2012 | Mise à jour : 15:08
Tunisie: La "Vérité" de Leila Ben Ali et le coup d'Etat spirituel
"Ma vérité", c'est le livre autobiographique de Leila Ben Ali qui paraît aujourd'hui dans les librairies françaises. Réalisé après plusieurs entretiens via Skype avec l'ancienne dame de fer, Yves Derai, journaliste et directeur des Editions du Moment revient dans cette interview qu'il a accordée à Pascale Clark de France Inter, sur le film des événements qui ont chassé celui qu'on croyait indéboulonnable du Palais de Carthage.
Dans ce livre-révélations, dont 3000 exemplaires (sur un total de 13.000) seront expédiés en Tunisie, l'ancienne première dame ne parle pas de révolution du peuple, mais de coup d'Etat. Elle pointe du doigt certaines personnalités, à l'instar d’Ali Seriati, directeur de la garde présidentielle de Ben Ali, mais aussi des services étrangers et français. Elle parle de sa famille harcelée, se décrit comme une femme soumise, sans influence politique et surtout... pas intéressée par l'argent ! On eut droit aussi à une étonnante confession: certains membres de sa famille, les Trabelsi, auraient un peu exagéré, mais la savonnade de Ben Ali n’aura servi à rien !
Entretien avec Yves Derai pour qui "ce type de témoignage d'une actrice au cœur de l'affaire [...] permet d'un peu mieux comprendre ce qui s'est réellement passé".
France Inter: Comment êtes-vous entrés en contact avec la femme de l'ancien dictateur tunisien Leila Ben Ali ?
Yves Derai: Ecoutez, il y a un intermédiaire qui m'a proposé d'entrer en contact avec Madame Ben Ali.
Son nom ?
Il a un nom, mais malheureusement, je ne peux pas le révéler, parce que c'est quelqu'un qui retourne en Tunisie régulièrement. Et quand on a des relations avec Leïla Ben Ali ou M. Ben Ali, il n'est pas bon de le faire savoir en Tunisie aujourd'hui. Donc il m’a mis en contact assez vite et j’ai commencé à converser avec elle par Skype, et on a évoqué ce projet de livre.
Vous n’avez pas pu vous rendre en Arabie Saoudite où est refugié le couple Ben Ali ? C’était impossible ?
Non, c’était assez compliqué et à dire vrai, ça s’est bien passé comme ça, donc je n’ai pas cherché plus.
De longues séances de travail sur Skype, c’est gratuit et puis on a l’image. Sur la photo de couverture de votre livre Ma vérité, Leïla Ben Ali, aux Editions du Moment, elle apparaît voilée, avec des lunettes de soleil quand même. Elle était comme ça sur l’image sur Skype ? En pieuse ?
Quand j’avais la possibilité de la voir, elle était toujours comme ça effectivement, j’étais un tout petit peu surpris, car ce ne sont pas les images que j’ai. Moi je ne la connaissais pas. Je l’ai découverte, in vivo, à travers Skype. De temps en temps, elle me demandait de ne pas la voir. Et donc, elle me voyait, mais moi je ne la voyais pas. Et je pense que dans ces moments-là, elle ne devrait pas être voilée à moins qu’elle n’ait pas été présentable pour ce type d’entretiens, je ne sais pas !
Des séances de prière au milieu des séances de travail ?
De temps en temps, des séances de prière, mais aussi des séances de ravitaillement de temps en temps. A un moment donné, on s’est retrouvés dans une période de Ramadan, et donc, il y avait des moments de fatigue. A mon avis, elle n’était pas quand même très habituée à travailler trois heures d’affilée en français.
Ou à travailler tout court ?!
Ou à travailler tout court peut-être. Vous avez raison, parce que je crois qu’elle le revendique d’ailleurs dans ce livre, car elle estime qu’elle ne s’occupait pas tant que ça des affaires de l’Etat.
Oui, c’est ce qu’elle dit. Elle dit aussi que d’abord, Ben Ali n’a pas fui la Tunisie, on l’a forcé. Et que ce n’était pas une révolution du peuple, mais un coup d’Etat. Fomenté par qui ? On ne comprend pas très bien ?
C’est vrai que c’est quelque chose qui reste assez mystérieux dans le livre. Je pense que diplomatiquement, elle n’a pas su mettre le nom d’un pays ou d’une organisation derrière ce coup d’Etat. Mais néanmoins, elle pointe certaines personnalités, notamment l’ancien chef de la sécurité de Ben Ali, Ali Seriati. Elle parle aussi dans ce livre de services étrangers, de services français aussi qui ont joué un rôle assez important. Moi ce livre, je l’ai publié, si vous voulez, parce que… vous avez dit tout à l’heure dans votre petite introduction : Madame Ben Ali réécrit l’histoire.
Ah oui, complètement. Il y a une démonstration un peu délirante. Je vous donne quelques éléments, preuves du complot pour elle : deux jeunes s’étaient immolés deux semaines avant le vendeur de légumes Mohamed Bouazizi, mais ça n’a rien donné, parce que le coup d’Etat n’était pas encore prêt. Elle décrit une population armée, droguée par ceux qui ont fomenté le coup, des snipers se payaient pour faire des victimes ...Quand vous entendez ça… franchement !!!
Ecoutez, moi je pense que contrairement à vous, l’histoire de cette révolution n’a pas encore été écrite. Je pense que le temps de l’histoire n’est pas passé. Donc à partir de ce moment là ce type de témoignage d’une actrice, qui était au cœur de cette affaire, reste un mystère avant ce livre en tout cas, ou encore un peu après .Le départ de Ben Ali fut brutal, alors qu’on disait ce couple totalitaire. Lui étant un dictateur s’appuyant sur un maillage policier, avec le RCD …et qui tout d’un coup s’en va comme ça, et quitte le pays, ça ne me paraissait pas crédible. Donc ce témoignage permet à mon avis de mieux comprendre comment cela s’est passé. Et elle invente le coup d’Etat spirituel.
Il n’y a pas un mot dans ce livre sur les tortures infligées aux opposants… et Leila Ben Ali qui pleure sur le sort de sa famille harcelée en Tunisie et se plaignant que des associations des droits de l’homme ne fassent rien ! Quand vous entendez ça, vous n’êtes pas soudainement envahi par le sourire ?
J’étais saisi d’une immense surprise. Je trouve ça assez intéressant, malgré tout, que Mme Ben Ali qui se dit pourchassée, combattue sans cesse par les ONG, fasse appel aujourd’hui à ces mêmes ONG pour qu’elles s’intéressent au cas humanitaire de sa famille .Voilà c’est un drôle de retournement du destin.
Drôle ou monstrueuse ?
Pourquoi monstrueuse ?
Tout un pays a été torturé. L’opposition a été torturée pendant des décennies .Et se plaindre que les droits de l’homme ne fassent rien pour sa propre famille …
Je trouve que vous y allez un peu fort. Il y a eu effectivement de la torture, Ben Ali, ce n’était pas une dictature sanguinaire. Il n’y a pas eu de crime politique. Ben Ali, ce n’est pas pareil que Khadafi, ce n’est pas pareil que Saddam. Pardonnez-moi de faire parfois des nuances entre les dictateurs.
Leila Ben Ali décrite par elle-même, autoportrait d’une femme soumise, sans influence politique, pas intéressée par l’argent. Tout juste, admet-elle que certains membres de sa famille, les Trabelsi, ont un peu exagéré, mais juste un défaut de vigilance pas plus.
Ça parle d’autocritique oui…
Un pays pillé quand même !
Les observateurs que vous êtes jugeront, mais c’est déjà une première qu’elle confesse avoir laissé autour d’elle des gens qui avaient la carte. Voilà, ils s’appelaient Ben Ali, Trabelsi, ils abusaient de ces noms pour en profiter de temps en temps. Ben Ali avait même convoqué certains pour leur passer un savon, mais ce n’était pas suffisant.
Est-ce que le livre est sorti en Tunisie ?
Le livre a suscité un immense débat national en Tunisie, et finalement les libraires tunisiens, dont certains ont joué un rôle important dans la révolution du jasmin, ont insisté pour que ce livre sorte en Tunisie, justement pour ne plus reproduire les comportements de l’époque de Ben Ali.
A qui iront les droits d’auteur ?
Les droits d’auteur n’iront pas à Madame Ben Ali. Cest une condition que j’avais posée et qu’elle a acceptée tout de suite. Donc nous ferons, nous les Editions du Moment, don à une organisation caritative, s’il y a des droits d’auteur in fine, ce qui, a priori, n’est pas certain. Car je ne sais pas si ce livre se vendra.
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